À partir des informations recueillies auprès des habitants des Délices (Section communale de l’Arcahaie) et  poursuivant la route vers l’Est, en direction de La-Chapelle pendant une dizaine de minutes, l’équipe de l’ISPAN s’est ensuite rendu au lieu-dit KaDyon, où elle a pu découvrir les vestiges de la plus importante installation caféière
coloniale identifiée jusqu’ici dans le pays. Son importance en superficie dépasse celle de l’habitation Séguineau, située près de FondBaptiste, et celle de Beaucher à Marmelade, répertoriées en 2003 par la Fondation pour le Développement Durable et Intégrée de Marmalade (FONDDIM) et l’ISPAN.

Les ruines de l’habitation Dion s’articulent autour d’immenses glacis couvrant une superficie approximative de 4200 mètres carrés. On y retrouve les ruines de la caféterie proprement dite, des réservoirs d’eau de pluie alimentés par des canalisations et d’un bâtiment qui vraisemblablement devait servir d’entrepôt.
Cependant, la découverte la plus surprenante de cette visite de l’habitation Dion a été localisée en contrebas des glacis, en prolongation vers l’Est, où se trouvent  disposés, autour d’une vaste cour centrale, trois édifices identiques construits en forte maçonnerie mesurant environ 32 mètres de long sur 5 mètres de large. Ils sont constitués chacun de 7 cellules d’environ 4 mètres sur 4 mètres : il s’agit des logements des esclaves de l’habitation. À ces trois édifices, il faut de plus adjoindre deux autres corps de bâtiment abritant des logements d’esclaves également et  constitués de quatre rangées de cellules chacune. Ces deux bâtiments, eux, sont situés à l’entrée Ouest de  l’habitation.

Ces bâtisses en maçonnerie forment, sans conteste, le plus important groupe de logements d’esclaves identifiés jusqu’à aujourd’hui en Haïti.

Il est important de rappeler que la culture du café a fait son apparition à  Saint-Domingue vers les années 1740 et se propagea à une vitesse fulgurante à travers la colonie. Elle s’établit sur les contreforts et les sommets des montagnes (en plein territoire du marronnage) où elle trouva le climat idéal pour son développement. À la veille de la révolution, 50 ans plus tard, le café arrivait même à concurrencer le sucre, denrée par excellence de la colonie. Alors qu’en 1750 on produisait 7 millions de livres de café, en 1789, déjà, la  production atteignit le chiffre record de 77 millions de livres. Les plus importantes zones de production caféière de la colonie se situaient dans l’axe Plaisance – Marmelade – Dondon dans le Nord, dans la chaîne des Matheux, dans les hauteurs de Cabaret jusqu’à Goyavier, près de Saint-Marc, et sur le versant sud du massif de la Selle.

Si dans les habitations sucrières des plaines, les esclaves jouissaient du loisir d’édifier leurs propres logements qu’ils finissaient par réunir en de véritables petits villages, dans les mornes, ils étaient traités comme de véritables bagnards, enfermés dans une prison et subissant le contrôle permanent des commandeurs, sous le regard vigilant du colon. C’est ce qui explique le caractère carcéral de l’architecture des logements d’esclaves des habitations caféières. Les cellules de l’habitation Dion illustrent parfaitement cette condition de servitude.

Le développement de l’exploitation du café par les colons de Saint-Domingue fut définitivement interrompu lors des troubles de la Révolution. Après une brève et infructueuse tentative de défendre ces infrastructures contre les incursions ravageuses des révoltés par la construction de vigies, de postes de surveillance, de blockhaus et par la création de milices armées, les colons  démantelèrent finalement leurs installations et migrèrent avec leurs nombreux esclaves vers la Nouvelle-Orléans et surtout dans la partie orientale de Cuba. Dans la province d’Oriente à Cuba, les colons français et leurs esclaves reproduisirent les habitations caféières de Saint-Domingue sur les pentes des sierras autour de Santiago et transformèrent radicalement la région tant au niveau économique qu’au niveau culturel. Toute la collection des vestiges de ces habitations caféières de Cuba a été inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial par l’UNESCO en l’an 2000 sous le nom de Cafétales Franco-Haitianos.

Par les couches d’utilisation qu’ils ont créées en quelques dizaines d’années d’existence, ces logements d’esclaves des habitations caféières coloniales devraient faire l’objet de recherches archéologiques poussées qui permettraient de mettre à jour des aspects entièrement méconnus de l’esclavage à Saint-Domingue. Les habitations caféières  coloniales de la chaîne des Matheux et particulièrement l’habitation Dion constituent une extraordinaire mine d’informations sur la vie quotidienne des esclaves de Saint-Domingue.

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